Orientation
Jacques-Alain Miller
Donc. La logique de la cure (1993 1994)
(Cours inédit)
Cours du 1 décembre 1993
« Vous savez que la solution de Lacan, pour que l’analyste se maintienne en position analysante, vous savez que sa solution, en tout cas celle qu’il disait adopter pour son compte, c’était l’enseignement. Ça a fait des ravages parce qu’enseigner en sachant, en ressassant, en répétant, et enseigner à la limite de son savoir - et donc sur le bord de son ignorance - ce sont deux exercices tout à fait différents, contraires. »
Cours du 12 janvier 1994
« La notion de la passe, elle est au moins hégélienne seulement en ceci – pas dans son fonctionnement ni dans sa structure mais seulement en ceci – que c’est une conjoncture déduite des conditions mêmes de l’expérience. Lacan, là, est plus hégélien que freudien, parce que Freud ne nous présente nullement, dans l’analyse, une expérience qui ait un principe d’arrêt. C’est même ce sans-fin qui justifie pour lui l’invitation faite à l’analyste de retourner périodiquement sur le divan. A vrai dire, et je l’ai évoqué rapidement, c’est parce que Freud pensait que la position de l’analyste était contradictoire avec les exigences de l’analyse, et spécialement avec les exigences éthiques de l’analyse. C’est pour ça qu’il voulait que l’analyste redevienne analysant, pour être, si je puis dire, moral. Mais la notion de Lacan, c’est tout de même que c’est sans retour, la fin vraie de l’analyse. À condition que l’analyste, que le devenu analyste entre dans l’enseignement de la psychanalyse, c’est-à-dire qu’il retrouve un rapport de déchiffrement avec le sujet supposé savoir dans l’enseignement de la psychanalyse, ce qui évidemment distingue cet enseignement de toute pédagogie. »
Cours du 18 janvier 1995
« Le transfert de travail, où Lacan désigne le relais qui serait pris de son travail par d’autres le poursuivant, ne serait-il pas en son fond un transfert de paroles ? – la parole analysante devenant parole enseignante.
C’est bien dans ce transfert de travail, à la fin de l’analyse, que Lacan espérait fonder l’enseignement de la psychanalyse. C’était bien son idée qu’en son fond la parole d’enseignement, de l’enseignement véritable, celui qui gagne sur l’ignorance du sujet lui-même, est parole d’analysant – au sens où Lacan entendait son propre enseignement. L’enseignement est la poursuite de l’analyse par d’autres moyens. »
« Lacan et la psychose »
in L’expérience clinique des psychoses
Nice : Z’éditions, 1988
« Une erreur, me semble-t-il, à ne pas faire concernant l’enseignement dans le cadre Universitaire, c’est de le faire éclectique, c’est-à-dire s’imaginer qu’un enseignement libéral doit comporter de tout un peu, saupoudrage de doctrines, d’avis, de points de vue. […] on confond l’enseignement et l’information. On s’imagine qu’ainsi on peut simplement mieux faire son marché ; l’enseignement n’est pas une affaire de marché, ce n’est pas non plus une affaire d’information.
[…]
Il ne faut pas croire qu’on est comme ça, sûr d’être dans le vrai et qu’à cette idée-là il faudrait opposer une sagesse éclectique qui consisterait à mélanger à doses variables des éléments empruntés à d’autres discours. C’est justement parce qu’on est sûr de rien qu’il s’agit, toujours dans l’ordre scientifique, de construire un savoir ; je ne dis pas de le découvrir, mais proprement de l’inventer et au fond ça ne se pose, ça ne s’invente qu’à partir d’un certain nombre de présupposés, à partir d’un certain nombre d’axiomes [...] d’un postulat. […] et c’est précisément dans les impasses des conséquences de son postulat, les impasses et les butées, les trébuchements des conséquences d’un postulat qu’on a des chances effectivement de vérifier ce dont il s’agit. Pour ça il faut pouvoir aller au bout de son postulat, et si on commence à en emprunter plusieurs qui sont contradictoires, on fait du sur place. »
pp. 16-17.