L’éducation populaire


Il est admis généralement que l’éducation populaire est une éducation conçue pour la classe la plus nombreuse et la plus démunie. Schématiquement, il s’agit d’un projet de démocratisation de l’éducation, principalement porté par des associations, dans le but de compléter l’enseignement initial.

Issue d’une conception éducative humaniste et émancipatrice, l’éducation populaire œuvre à l’avènement d’un homme plus conscient de son propre devenir et de celui de la société à laquelle il appartient, et de celle de demain, qu’il se doit de promouvoir dès aujourd’hui.
Historiquement, elle sera longtemps en prise avec l’idéologie du moment, par l’intermédiaire de l’Eglise, des partis politiques, des courants de pensée, qu’il s’agisse d’envisager la paix sociale ou de préparer l’avènement de la République, et elle aura pu être considérée comme conservatrice ou novatrice, tant dans ses finalités que dans ses pratiques pédagogiques.

Cependant il n’est pas toujours aisé aujourd’hui de définir avec précision les frontières de la déjà ancienne « éducation populaire », en partie parce que les notions d’Education permanente, d’Education des adultes ou d’Animation socioculturelle, voire d’Education tout au long de la vie, en sont devenues très proches. Chacune se fédère au moins autour de l’idée que l’éducation ne se limite pas à la période de scolarisation initiale, qu’elle la déborde très largement, quant aux contenus développés et aux âges concernés, s’adressant aussi bien à l’adolescence qu’au troisième âge.

De l’alphabétisation aux pratiques de théâtre, de l’échange de savoirs aux universités populaires, des colonies de vacances aux activités sportives en passant par les universités du troisième âge, les domaines concernés par l’éducation populaire sont divers et s’articulent avec différentes institutions, pouvant inclure l’Education nationale et divers types d’associations se situant hors cadre scolaire et généralement hors des formations de type professionnel.
Même si de multiples tendances la travaillent en profondeur, l’éducation populaire se réclame traditionnellement de l’éducation à la citoyenneté, avec l’objectif de servir l’intérêt général, en un ensemble de valeurs prenant la forme d’un projet de société qui envisage de réduire ce qui existe d’inégalités sociales, culturelles et économiques, et qui doit être réalisé avec la participation active de tous.

La culture est entendue en son sens le plus étendu, qui inclut la littérature, les sciences, les voyages, la visite de musées, etc., embrassant possiblement l’ensemble des connaissances pouvant s’inscrire tout au long de l’existence. L’éducation populaire ainsi envisagée doit contribuer à faire comprendre les enjeux et la complexité des situations vécues, à rendre conscients les individus de leur place et de leur rôle possibles, à développer leur capacité d’autonomie afin de maîtriser les situations plutôt que les subir. Il en est attendu une société plus juste et plus solidaire.

Il existe ainsi un contenu intrinsèquement politique à la démarche, avec l’espoir de provoquer une transformation sociale, ne serait-ce que localement. De ce processus se voulant transformateur, les individus impliqués apprennent beaucoup, se forment culturellement et civiquement, de consommateurs ils deviennent des acteurs démocratiques, des porteurs de projets.
Que ce soit dans les Réseaux d’Echanges Réciproques de Savoirs (RERS), à ATD Quart monde, dans les Ceméa (Centres d’Entrainement aux Méthodes d’Education Active), les Universités populaires, les ateliers d’écriture, les centres de loisirs, sans oublier une multitude d’autres associations, on aura constamment à l’esprit dans l’éducation populaire l’intérêt du sentiment collectif, qui permettrait, quelles que soient les conditions d’existence de tous – représentants cultivés du monde intellectuel ou personnes dans la grande pauvreté –, une sorte de partage ou de mise à disposition de savoirs et de connaissances (savoirs traditionnels, mais également savoir-faire et savoir-être).

Les promoteurs actuels de l’éducation populaire (y compris l’Etat qui assure souvent sa tutelle) envisagent surtout d’œuvrer à une sorte de prise de conscience active de la condition des hommes dans la complexité des évolutions contemporaines, l’éducation étant alors considérée comme l’inverse du conditionnement. Par « éducation » il faudrait entendre une aide à la réforme de la pensée et des moyens d’action, qu’on ne trouverait guère présents dans l’institution éducative classique, assez lente à s’adapter aux évolutions du monde.

En plus des formations qu’elle propose (avec des contenus, des activités particulières), l’éducation populaire a pour mission, par la synergie des groupes auxquels elle s’adresse, de mettre en commun des aspirations individuelles faisant découvrir à chacun son pouvoir d’action sur lui-même, avec d’autres, grâce à eux. L’éducation populaire peut faire s’interpeller, dans l’acte créateur, de l’individuel (l’homme en tant que globalité, sans exclure son histoire de vie et sa relation à l’environnement) et du collectif, s’interpeller aussi les cultures variées ainsi rendues disponibles (culture lettrée, culture populaire, cultures étrangères autres), et ceci dans la liberté de choix de tous.

L’éducation populaire est appropriation de savoirs par la personne, et il est espéré qu’elle se connaîtra mieux, apprendra ou réapprendra à entrer dans le jeu démocratique par une meilleure analyse des multiples situations auxquelles elle est confrontée.
C’est pourquoi, dans le cadre de l’éducation populaire, un intervenant ou un animateur ne peut être sans point de vue impliqué ni engagé – au sens militant – dans le jeu social. L’intervenant aide à mieux réfléchir, à mieux analyser le monde dont il est un acteur.
Le sentiment du collectif, l’esprit de citoyenneté, les vertus émancipatrices recherchées malgré les difficultés, ne font pas toujours bon ménage avec des méthodes pédagogiques traditionnelles, d’où souvent un besoin d’autres modes innovants de transmission et surtout de mise en commun, de partage. De fait, les pratiques pédagogiques mobilisées par l’éducation populaire sont plurielles, depuis les plus habituelles jusqu’aux plus novatrices.

Il a toujours existé dans l’éducation populaire une transmission de savoirs classiques, pouvant reposer sur le corpus de la culture cultivée (cycles de conférences dans certaines Universités populaires par exemple), mais on y trouve aussi des formes de transmission relevant des pédagogies de la « conscientisation » ou de la « libération », qui semblent venir contester la forme classique, et jouant de préférence sur un registre inspiré au moins des pédagogies actives, misant sur l’accompagnement éducatif plus que sur la transmission directe, sur la mise en commun réflexive d’expériences et sur le développement du sens critique.

Christian Verrier
Ex maître de conférences
Paris 8 Saint-Denis